Le Prix Joséphine des artistes
– une ode à l’audace
Avec chacun plus de 20 ans d’expérience dans l’industrie de la musique, Frédéric Junqua et Christophe Palatre se sont retrouvés sur le triste constat qu’aucune initiative n’existait pour récompenser la production musicale en France. Aussi, en s’inspirant du britannique Mercury Prize, pour sa légitimité et son éclectisme, ils ont imaginé un prix, avec pour ambition d’aider les artistes dans leur conquête de l’international.
En littérature comme en cinéma, les prix ne manquent pas. « En plus, nous nous sommes rendus compte que dans la musique, il n’y a pas de prix qui fonctionne avec un jury d’artistes, à l’instar du prix Goncourt ou du festival de Cannes », raconte Frédéric Junqua.
Plusieurs éléments étaient favorables à la création d’un nouveau prix dans le paysage musical français. Tout d’abord, beaucoup d’artistes peuvent désormais s’essayer à la production avec des résultats probants. « Ça foisonne, on sent qu’il y a plein de choses ! », s’exclame Christophe Palatre, « d’où ce besoin de préconisation ».
Frédéric Junqua ajoute que ce foisonnement n’est pas un hasard car le marché est en pleine croissance, ce qui pousse les artistes à innover. « Quand des milliers de titres sortent chaque jour, même les artistes avec une assise professionnelle sont obligés de prendre des risques. On voit bien que les enjeux de la sortie d’un album ne sont pas les mêmes qu’il y a 5 ans. »
Et Christophe Palatre de compléter : « Tout à coup, il y a ce besoin de se démarquer, parce qu’on risque d’être oublié dès le lendemain de la sortie de l’album. »
Une promesse de découverte,
de recommandation et de qualité
Les fondateurs ont voulu des critères d’inscription simples, avec des frais d’inscription faibles, et très peu de contraintes. « Nous n’avons par exemple pas donné de conditions sur le nombre d’albums déjà produits, pour bénéficier d’un effet d’entraînement entre les artistes reconnus et les émergents, mais aussi entre les genres. »
« Le Prix Joséphine s’adresse aux amateurs de musique, qui ont envie d’être un peu étonné et de découvrir des choses intéressantes. »
Comme l’explique Frédéric Junqua, ce prix s’adresse aussi aux professionnels : « Quand on travaille dans la musique, on écoute essentiellement les projets sur lesquels on travaille, et on finit par s’enfermer dans une bulle. Cette récompense est aussi pour que les collègues de l’industrie réalisent qu’ils ont des artistes extraordinaires. »
Afin de valoriser la direction artistique, ce sont les producteurs qui soumettent les albums à la sélection. « Sans surprise, dans le palmarès on retrouve des labels indépendants comme inFiné, No Format!, ou CryBaby, qui ont une réelle approche de production dans la réalisation des albums », note Christophe Palatre.
Une sélection en deux temps
pour privilégier les échanges
Christophe Palatre et Frédéric Junqua n’ont participé ni au comité ni au jury, mais poussés par la curiosité, ils ont écouté les 351 soumissions initiales, et se sont laissé surprendre. Les organisateurs ont tout de même assisté aux délibérations, « pour répondre aux questions et passer des disques ». Si la qualité est au cœur du prix, les maîtres-mots sont la singularité et l’audace. « Nous étions à la recherche d’albums qui resteront dans les mémoires. C’est difficile de savoir quelles oeuvres passeront l’épreuve du temps. »
Le comité de sélection et le jury ont été soigneusement sélectionnés, avec des profils d’experts venant de différents milieux musicaux. « Chacun venait avec ses albums préférés, ce qui a donné lieu à des débats assez intéressants. » Si le comité est composé de journalistes, le jury est composé d’artistes mais là encore, avec des métiers différents. « Nous avons choisi autant des chanteurs que des producteurs, comme Sage, qui réalise pour Clara Luciani et Lomepal, ou des ingénieurs du son comme Bénédicte Schmitt, pour qu’elle apporte son regard de spécialiste. »
A la sortie de délibérations, les deux instances étaient ravis d’avoir parlé musique. « Ils ont écouté des choses qu’ils n’auraient jamais imaginé écouter, on sentait qu’ils avaient apprécié que ce soit un cénacle, où ils pouvaient échanger sur la qualité musicale », se félicite Frédéric Junqua. Et de s’empresser d’ajouter : « Même s’ils n’étaient pas tous d’accord ! »
Cette diversité a permis de sélectionner un palmarès de dix albums. « Au final, chacun a sa chance de se retrouver dans le palmarès, comme Eesah Yasuke, qui ne s’attendait probablement pas à être choisie face à Benjamin Epps ou La Fève, sélectionnés par le Comité. »
Le format album comme maître étalon
Si la plupart des prix musicaux français sont centrés sur l’artiste, que ce soit sa carrière ou un titre, le Prix Joséphine se penche sur l’album. « C’est ce qui reste au final. Quelle que soit la place du single dans les stratégies, l’album reste une pierre angulaire dans la carrière d’un artiste. C’est une manière de marquer d’un certain territoire créatif », remarque Frédéric Junqua.
Avec l’ambition de prendre le contrepied des modes de consommation actuels, qui privilégient la playlist, le prix encourage à aller écouter des albums. « L’album, c’est un aboutissement, parce que c’est sur ce format que l’artiste exprime le plus sa vision et sa sensibilité. November Ultra, on sent que cet album elle l’a depuis plusieurs années dans sa tête, et qu’il fallait qu’il sorte avec ces chansons dans cet ordre », observe Christophe Palatre.
Un palmarès éclectique
Le palmarès réunit à la fois du jazz avec Laurent Bardainne, de la musique contemporaine avec Koki Nakano et Gaspar Claus, du rap avec Eesah Yasuke, ou de la pop acoustique avec Malik Djoudi. « Ce qui me fait le plus plaisir c’est quand certains me disent qu’ils ont fait des découvertes à l’écoute du palmarès. Le patron de la Sacem a été bluffé par Leonie Pernet ! » partage Christophe Palatre.
L’intention était de récompenser des artistes qui bousculent leurs propres codes. Et de trouver un album composé d’éléments qui le rendent unique, exceptionnel, avec le potentiel de parler à un public très large. L’audace réside dans la capacité à dépasser son propre genre musical. « Par exemple, Gaspar Claus, quand on voit son visuel, sa manière de travailler, c’est quelqu’un qui, même s’il vient du violoncelle, il a transcendé l’utilisation habituelle de son instrument, pour essayer de produire un résultat, une musique un peu inclassable en vérité. Et c’est une forme de pop », analyse Frédéric Junqua.
« On retrouve cette démarche aussi chez Koki Nakano, qui utilise le piano d’une façon un peu percussive, en ajoutant des sortes de rengaines à ses compositions, c’est une approche très pop. C’est exigeant mais pas inaccessible », renchérit Christophe Palatre.
Ce palmarès est aussi une manière de montrer ce que la France est capable de faire. Le but semble être atteint, car ces dix albums ont tous une valeur internationale. « Tous ces artistes sont capables de séduire au-delà des frontières », confirment les créateurs du prix.