
Réduisons notre Empreinte Carbone ! avec le CNM
Intitulé REC (Réduisons notre Empreinte Carbone !), ce projet cherche à identifier les leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la filière de la musique enregistrée. C’est la première fois qu’un tel bilan carbone a été réalisé dans le monde.
Porté par le Centre national de la musique (CNM) avec le Snep, l’UPFI et le SMA, le projet REC a estimé un bilan carbone à 2 780 ktCO2e en 2022, soit l’équivalent d’un million d’allers-retours Paris-New York en avion. Ce diagnostic a révélé que 51 % des émissions proviennent de la fabrication et de la fin de vie des terminaux nécessaires à l’écoute, 22 % des activités de distribution digitale, et 23 % des usages par le public. Si la filière n’agit pas, les projections indiquent un risque de triplement des émissions d’ici 2030, dû à la croissance du marché, à l’évolution des habitudes de consommation de la musique et à l’amélioration des qualités audio et vidéo. Cette étude est devenue la base d’une stratégie bas carbone nécessaire pour infléchir la tendance.
IDOL est fier d’avoir participé à cette étude en tant que membre du comité de pilotage. Échange entre Léopold Foucault, Chargé de mission transitions au CNM et Constance de Bosredon, Head of International et référente RSE pour IDOL.
Pourquoi le CNM a décidé de réaliser le bilan carbone de la musique enregistrée ?
Leopold Foucault : Dans le cadre de France 2030, la Caisse des Dépôts a lancé un appel à projet pour le plan de relance Alternatives Vertes. Nous avions constaté un réel besoin d’identifier les leviers de décarbonation et d’analyser les impacts carbone du secteur de la musique enregistrée, donc le CNM a déposé le dossier en collaboration avec les trois syndicats représentatifs des producteurs et distributeurs du secteur : le SNEP, l’UPFI et le SMA. Cette subvention nous a permis de faire appel à un cabinet d’experts, Ekodev, en partenariat avec Carbone 4, chacun apportant des expertises complémentaires au projet.
Constance de Bosredon : Chez IDOL, nous avions commencé à travailler sur notre démarche RSE et à définir les différentes actions à entreprendre. Le bilan carbone en faisait bien sûr partie. Nous avons contacté le CNM dans ce cadre et quand ils ont lancé l’étude REC peu de temps après, ils nous ont proposé de nous impliquer. Ce projet collectif nous a bien sûr tout de suite intéressés et nous avons accepté d’y participer activement.
Comment les limites du périmètre de l’étude ont-elles été définies ?
Leopold Foucault : Le projet s’est déroulé en trois grandes étapes. La première étape était consacrée au cadrage, pour définir les besoins, les éléments à mesurer, les périmètres des parties prenantes.
Ce travail de cadrage a débouché sur un périmètre centré sur l’impact carbone – direct ou indirect – des musiques enregistrées issues des catalogues distribués par des acteurs français. Cela inclut toutes les productions, qu’elles soient françaises ou internationales, tant qu’elles sont distribuées par des entreprises françaises comme IDOL, et ce, qu’elles soient écoutées en France ou à l’international.
Nous avons ainsi décidé d’exclure certaines activités connexes, comme la création (home studio, résidences d’écriture) qui relève davantage de l’édition, ou encore la gestion des droits. L’analyse commence au moment où l’artiste et son équipe se dirigent vers le studio d’enregistrement.
Le périmètre retenu inclut donc : la production phonographique (labels, distributeurs digitaux et physiques), les plateformes de streaming, les studios d’enregistrement, et les auditeurs, à travers leurs pratiques de consommation (achats et écoutes).
Quels ont été les principaux obstacles à l’étude ?
Léopold Foucault : Une des principales difficultés a été de traiter de manière équitable des structures très différentes en termes de ressources. Par exemple, les grandes entreprises disposant de ressources humaines dédiées, comme un·e référent·e de RSE, étaient plus familières avec ces questions et plus disponibles que les petites structures.
Pour pallier ce décalage, une formation spécifique a été organisée pour les membres des comités de pilotage afin de leur fournir les bases nécessaires à ce bilan carbone. Cette initiative a permis de garantir une compréhension des enjeux et des objectifs du projet à tous les participants.
Constance de Bosredon : En tant que distributeur, nous possédons les outils nécessaires pour fournir les données que l’étude exigeait. Nous avons bien sûr dû mobiliser une partie de l’équipe afin de rassembler un maximum de données que ce soit sur l’activité de distribution elle-même ou sur la vie de l’entreprise mais représentant une grosse partie de l’écosystème des labels indépendants français, cela nous semblait indispensable de s’impliquer complètement.
La distribution digitale est un contributeur significatif aux émissions (22 %). Quelle a été la réaction du secteur ?
Léopold Foucault : En se penchant sur le sujet, on constate que le secteur de la musique enregistrée, aujourd’hui majoritairement numérique, partage les mêmes principaux facteurs d’émissions que le numérique en général.
Or, le problème avec le numérique, c’est que ces pollutions sont totalement invisibles : il n’y a pas de fumée qui sort de l’écran d’ordinateur lorsqu’on fait une visio. Mais nos métiers reposent sur des liens humains, et il nous est difficile de communiquer autrement aujourd’hui. Il faut donc avancer pas à pas, et de façon réfléchie.
Ce qui nous a surpris, par ailleurs, c’est la place de la distribution digitale dans les usages. Le numérique, et notamment la vidéo, joue un rôle prépondérant dans la consommation aussi bien que dans la promotion de la musique. Cette évolution est telle que les émissions pourraient tripler entre 2022 et 2030.
Toutefois, cette hausse ne résulte pas uniquement de l’amélioration de la qualité vidéo, mais également d’autres facteurs liés aux usages et aux infrastructures numériques. C’est précisément pour cette raison que nous travaillons à une stratégie bas carbone, afin de limiter cette augmentation.
Constance de Bosredon : Cette étude nous a permis de mieux assimiler les enjeux de notre métier. Nous ne pouvons pas, par exemple, du jour au lendemain, décider de manière unilatérale de ne plus diffuser de vidéo, cela n’aurait pas de sens, mais nous pouvons intégrer ces réflexions aux discussions stratégiques et sensibiliser nos partenaires sur le sujet. Le plus important c’est que la filière travaille ensemble. Le projet REC a permis de rassembler tous les différents acteurs de la musique enregistrée autour de ce défi, maintenant c’est à nous d’échanger et d’avancer dans une direction commune.
Sur quels éléments vous appuyez-vous pour construire cette stratégie bas carbone ?
Léopold Foucault : Comme la musique enregistrée dépend en partie du numérique, nous allons nous appuyer sur les trajectoires établies pour ce secteur. Par exemple, le Shift Project, un think tank dirigé par Jean-Marc Jancovici, travaille sur une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans le numérique entre 2022 et 2030. De son côté, la stratégie SBTi (Science-Based Targets Initiative), alignée sur l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, demande une réduction de 42 % d’ici 2030.
Ce sont des objectifs ambitieux. Dans notre secteur, certaines entreprises peinent encore à se relever de la crise du CD, après vingt ans. Notre rôle, au CNM, c’est d’aider la filière à anticiper les réglementations à venir, de lisser cette transition écologique, pour ne pas arriver à un point de rupture qui risquerait de fragiliser encore plus le secteur.
Constance de Bosredon : Une fois de plus, nous ne pourrons pas avancer si nous restons chacun dans notre coin et c’est pour cela que nous avons besoin de l’aide du CNM et de ce travail collectif pour s’assurer que tout le monde puisse avancer harmonieusement, à la hauteur de ses moyens.
Quelle a été l’implication d’IDOL dans cette étude ?
Léopold Foucault : Constance de Bosredon, référente RSE chez IDOL, a fait partie du comité de pilotage, qui a suivi tout le processus de l’étude. Or, sans comité de pilotage, l’étude aurait été complètement déconnectée de la réalité : Le comité a joué un rôle clé dans la collecte des données et dans la réflexion qui a permis de construire la feuille de route.
Une fois les informations rassemblées, nous les avons extrapolées pour avoir une vision globale des émissions de la filière. Ce qui nous a permis d’établir la feuille de route, afin de poser des actions concrètes et des objectifs globaux de cette décarbonation.
Pour ce faire, nous avons fonctionné par groupes de travail. Ces groupes ont réfléchi ensemble pour définir les actions prioritaires à mettre en place pour entamer la transition écologique. Pour chaque idée, on a noté la difficulté de mise en œuvre et l’impact potentiel de chaque action sur les émissions carbone.
Constance a beaucoup contribué à ces échanges : elle a proposé des idées, donné son avis et participé aux débats pour décider des actions les plus pertinentes. IDOL, de son côté, a joué un rôle central en fournissant des données confidentielles, ce qui a permis d’établir des résultats fiables.
Sans des structures aussi engagées qu’IDOL, ce projet n’aurait pas pu voir le jour.
Constance de Bosredon : C’était vraiment intéressant de confronter les points de vue lors des groupes de travail et de réfléchir ensemble à des solutions réalistes à mettre en place. Quand on se penche uniquement sur les chiffres c’est assez vertigineux, peut-être même décourageant parfois, mais en partageant des idées concrètes, relativement faciles à mettre en place pour certaines, on a déjà l’impression d’avancer.
Quelles sont les premières étapes de cette stratégie bas carbone ?
Léopold Foucault : Notre feuille de route repose sur trois axes. La première étape nécessite d’élargir à toutes les entreprises impliquées : depuis les fabricants de terminaux (les téléphones, ordinateurs ou casques audio), qui représentent une part importante des émissions, jusqu’aux plateformes de streaming. Comme certaines plateformes dépendent de groupes internationaux, il est difficile pour l’antenne française seule d’infléchir l’empreinte carbone de l’entreprise, il faut que la décision soit prise à l’échelle de l’entreprise. On veut également sensibiliser les fabricants de supports physiques, même si leur impact est moindre, pour qu’ils prennent leur part dans cet effort collectif.
Pour la deuxième étape, nous devons amorcer une réflexion autour des nouveaux usages et notamment tout ce qui tourne autour de la vidéo, afin de trouver des solutions. Enfin, la dernière étape et non des moindres, est de sensibiliser le public. Une grande partie de l’empreinte carbone de la musique enregistrée vient des usages des auditeurs eux-mêmes : leur manière d’écouter la musique et les terminaux qu’ils utilisent. Il est donc essentiel de sensibiliser le public à ces enjeux.
Quelles sont les prochaines étapes immédiates vers des pratiques durables ?
Léopold Foucault : Pour que cette transition écologique réussisse, il faudra une coordination à grande échelle. Cette étude constitue un véritable point de départ, mais le travail ne fait que commencer. Pour avancer, il est crucial de suivre une trajectoire collective.
A chaque étape, il nous faut mesurer les impacts, établir une trajectoire de décroissance en prenant en compte les objectifs, les aspirations et les moyens de chacun, puis concevoir une feuille de route qui engage tout le monde dans la même direction.
Constance de Bosredon : Le fait que le CNM se soit emparé du sujet était une étape indispensable pour que la filière se mette en marche mais il faut maintenant que tous les acteurs, petits ou grands, en prennent la mesure et s’impliquent activement sur ce sujet. IDOL restera bien sûr impliqué aux côtés du CNM tout au long du projet et nous espérons voir bientôt émerger les premiers résultats concrets.