User Centric : vers un streaming plus juste
On oppose souvent les plateformes de streaming aux artistes. Les rémunérations procurées par les premières ne suffiraient pas aux seconds. Mais on oublie que le streaming a sauvé l’industrie du disque, rendue moribonde dans les années 2000 par la crise et en particulier le piratage. Et c’est grâce au streaming que, même en temps de pandémie, l’industrie du disque continue de progresser (rapport SNEP 2020).
Le poids des genres musicaux est déséquilibré
Ce nouveau modèle a cependant modifié la donne, parce qu’il avantage les musiques les plus écoutées par les jeunes, notamment le rap et une certaine pop internationale, et ce pour plusieurs raisons. La première est démographique : les jeunes ont été les premiers à migrer massivement vers les plateformes de streaming, et certains des plus âgés d’entre nous n’y viendront certainement jamais. La seconde raison tient au modèle : le CD propose une rémunération unique équivalente à son prix d’achat, là où le streaming propose une rémunération potentiellement illimitée, proportionnelle au nombre d’écoutes. Or les jeunes consacrent plus de temps à l’écoute de leurs artistes préférés, souvent compulsive. Troisième raison, le modèle de rémunération des plateformes, le principal sujet de cette tribune.
Précisons qu’il ne s’agit pas de faire le procès des jeunes, ils ont toujours été le cœur de cible de notre industrie. Encore moins de faire celui du rap : si le problème s’était fait jour il y a 30 ans, il s’agirait du rock. Les musiques urbaines sont aujourd’hui particulièrement riches et variées, nous en distribuons notre part chez IDOL avec fierté. Il s’agit seulement de noter, comme le fait le CNM dans une récente étude, que de nombreux genres musicaux écoutés par un public plus adulte sont désavantagés par le fonctionnement actuel du streaming : le classique, le jazz, le rock, les musiques du monde, une partie de l’electro, la chanson française…
Les artistes de ces genres musicaux vivent beaucoup moins bien de leur musique enregistrée qu’à l’époque du CD. À réussite égale, avec le même nombre de fans, des tournées de dimension identique et une promotion équivalente, entre un rappeur et un artiste de musiques du monde, les revenus du streaming sont disproportionnés au profit du rappeur.
Le mode de rémunération actuel est injuste
Un des facteurs de ce glissement en faveur de la musique écoutée par les jeunes est le mode de rémunération des plateformes de streaming, dit « Market Centric ». En effet, dans le système actuel, l’usager des plateformes ne rémunère pas forcément les artistes qu’il écoute. Le montant de son abonnement est redistribué aux maisons de disques en proportion de leur part des écoutes globales. À titre d’exemple, si un artiste représente 5% des écoutes globales sur un mois, 5% du montant de l’abonnement de l’usager lambda ira à cet artiste, qu’il l’ait écouté ou non.
Ce mécanisme n’a choqué personne à ses débuts : il n’était pas illogique et il correspondait à ce que la technique permettait alors. Mais force est de constater aujourd’hui que le système est injuste. Ainsi, 70% des revenus mensuels sont redistribués aux artistes écoutés par seulement 30% des abonnés (les « heavy users »). Ces derniers étant en très grande majorité des jeunes, le déséquilibre décrit plus haut est donc renforcé par ce mode de rémunération. Il est temps d’en changer.
La période favorise le passage au User Centric
L’étude du CNM permet de valider ce qu’on imaginait, à savoir que le passage à un système de rémunération qui distribuerait ce que paye l’abonné aux artistes qu’il a écoutés (le « User Centric »), ne changerait pas drastiquement la donne. Certains des artistes les plus streamés perdraient un peu (au maximum 20% de leurs revenus) au bénéfice d’un très grand nombre d’artistes écoutés de manière moins intensive par un public plus adulte. La plus value ne serait pas énorme mais ce sont ces artistes qui en ont le plus besoin.
A court terme, il y a forcément des gagnants et des perdants et il est tentant de préférer l’immobilisme. Mais la conjoncture actuellement favorable nous permet de lisser ces variations en douceur. D’une part, le marché du streaming est en forte croissance. D’autre part, le système en place avantage en majorité de « gros » artistes. Pour ces deux raisons, la baisse que consentiront certains sera quasiment indolore.
C’est l’équité qui est en jeu
Le mode de rémunération n’est qu’un des leviers permettant de réduire ces inégalités, mais si nous ne nous en saisissons pas, c’est à la diversité de la production musicale que nous porterons atteinte. Car les producteurs, éditeurs, distributeurs et diffuseurs ont besoin de vivre et se tourneront naturellement vers ce qui marche. Au risque d’aller vers une uniformisation de la création qui finira par lasser une partie non négligeable du public. N’oublions pas que la diversité est une condition sine qua non à la vitalité du marché, y compris aux succès des blockbusters.
Plutôt que de tourner autour du pot plus longtemps, le moment est venu de choisir un mode de rémunération plus juste. Passer au User Centric ne constitue pas une révolution. Cela ne bouleversera pas la hiérarchie des artistes, les succès resteront des succès. Ce n’est qu’un léger rééquilibrage qui va dans le bon sens, celui de l’histoire. Il pacifiera une industrie qui n’a jamais été aussi divisée et ressoudera la communauté des artistes. Ceux d’entre eux qui prennent le streaming en grippe parce qu’il ne les avantage pas retrouveront confiance. De même pour les usagers qui apprécieront ce regain de lisibilité et d’équité.
C’est un enjeu moderne et français, initié par Deezer, qui nous offre la possibilité de pouvoir le tester grandeur nature et confortablement sur une plateforme et un territoire uniques. N’attendons pas que d’autres le fassent à notre place. Soyons fiers et courageux, approprions-nous le.