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02.04.24

IDOL Insights : meet Bongo Joe

Chaque mois, IDOL met en lumière un label de son catalogue. Ce mois-ci, nous avons interviewé l’éclectique label Bongo Joe. Rencontre avec Quentin Pilet aux Trans Musicales de Rennes.

Bongo Joe Records est un magasin de disques basé à Genève, en Suisse, où la musique transcende les frontières et le temps. Fondé par le musicien Cyril Yeterian, le label Les Disques Bongo Joe a vu le jour en décembre 2015 avec pour mission de mettre en lumière des musiques oubliées. Depuis huit ans, Bongo Joe explore les mondes souterrains contemporains et dévoile des pépites, qu’elles soient locales ou internationales. De Altin Gün à Lalalar, de L’Eclair à Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, la discographie reflète l’amour de la musique dans toute sa diversité.

La 45e édition des Trans Musicales de Rennes donnait carte blanche à ce label défricheur avec pas moins de sept groupes programmés. Un panel assez représentatif car il rassemble à la fois des projets locaux genevois, avec Yalla Miku, Citron Citron, Bound by Endogamy, et Sami Galbi qui est suisse roman, et des projets internationaux comme Nusantara Beat aux racines indonésiennes, Blanco Teta qui vient d’Argentine et Ndox Électrique qui mêle Europe et l’Afrique de l’Ouest. Rencontre avec Quentin Pilet, co-responsable du label.

Comment est né votre label et quel a été son parcours ?

Le label est l’émanation du magasin de disques fondé par Cyril Yeterian à Genève. Ses tournées avec le groupe Mama Rosin lui ont permis de faire beaucoup de découvertes musicales et ça lui a donné envie d’ouvrir un lieu. Ça a donné le magasin Bongo Joe, et deux ans après, le label.

Le label a démarré autour des artistes locaux et de quelques réédition de musique obscure et s’est développé au fur et à mesure des rencontres. Un des tournants pour le label a été la signature de Altin Gün, qui a explosé suite à la sortie de son premier album, On.

L’anecdote est intéressante : plusieurs des musiciens de Altin Gun tournaient avec Jacco Gardner. Lorsqu’ils sont passés par Genève, ils ont voulu visiter le magasin Bongo Joe, mais nous étions en train de fermer. Quand il a su qu’ils étaient des musiciens de passage, Cyril leur a rouvert la porte. Autour d’une bière, Jasper et Nick Mauskovic ont expliqué qu’ils cherchaient un label pour leur nouveau groupe de musique psychédélique turque.

Cette sortie nous a permis de créer des liens avec la scène d’Amsterdam, comme The Mauskovic Dance Band, qui a été une des premières grosses signatures internationales. Par la suite, Booty Carrell, un DJ de Hambourg et ami de longue date de Cyril, lui a parlé de cette jeune chanteuse de 18 ans, qui voulait sortir un premier EP. C’est comme ça que Derya Yıldırım a été signée.

Comment s'est construite l’identité du label ?

A la base, nous voulions promouvoir la scène locale : notre première sortie a été Augenwasser qui fait de la pop lo-fi. Les rééditions, c’est un héritage de ce que faisait Cyril sur son ancien label Moi J’Connais Records. Et pour compléter l’ADN, des artistes internationaux de la scène groovy psychédélique.

Huit ans plus tard, nous avons un catalogue de 100 sorties avec un tiers de projets internationaux, un tiers de projets locaux et un tiers de rééditions. C’est un label de passionnés de musique : on peut passer du punk noise argentin à de la bedroom pop en suisse allemand à un projet de réédition de musique de Sao Tomé-et-Principe dans le Golfe de Guinée.

Notre label est à l’image de Genève, une petite ville à la scène très dense : on peut passer d’une soirée dub à un concert de punk en marchant moins de 5 minutes. A Genève, 70 % de la population a la double nationalité, et donc énormément de diaspora. Toutes ces sonorités différentes influencent nos habitudes d’écoute et la scène de manière générale.

Comment trouvez-vous un équilibre entre les sorties et les rééditions ?

Quand on sort une réédition, ce sont des musiques connues et partagées au sein de communautés. Nous avons sorti une anthologie d’Africa Negra, c’est le groupe principal de l’île de Sao Tomé-et-Principe. Ou quand on a réédité Maguidala, on n’a rien découvert, le chanteur Pedro Lima a eu le droit à funérailles nationales ! Comme le groupe n’a pas beaucoup tourné, nous nous chargeons de mettre en lumière son travail.

Mais nous avons aussi à cœur de défendre notre scène locale : nous savons qu’il y a des groupes, des artistes, des producteurs, qui méritent d’être reconnus. Et nous savons que l’identité de Bongo Joe, sa pâte, sa signature, peut aider certains groupes – locaux ou internationaux – à rayonner.

Quels sont vos objectifs et vos défis dans le développement de vos projets ?

Bongo Joe c’est une petite équipe et pourtant on sort minimum douze albums et jusqu’à 20 projets sur l’année, ce qui est assez énorme. En tant que label indépendant, le défi principal c’est de réussir à défendre une image, une ligne, une identité. Notre ADN est reconnu, la preuve c’est que les Trans Musicales nous donnent carte blanche. C’est une consécration !

Cette recherche de crédibilité, ça demande d’être intransigeant et de ne pas faire du facile. Ca nous est arrivé de refuser de sortir des albums, simplement parce qu’on aime pas la musique, ou que ça représente une identité qu’on n’a pas envie de défendre.

Le travail au quotidien est de défendre notre indépendance, défendre notre identité et défendre nos choix. On a aussi la chance d’être entouré d’attachés de presse avec qui on travaille depuis des années comme Marc Chonier. Il faut croire au projet et taper à la porte jusqu’à ce que ça marche.

Quels sont vos principaux atouts (en tant que label indépendant) ?

Notre force c’est la connexion. Le label est assez établi, et le magasin de disques fait aussi salle de concerts donc beaucoup d’artistes viennent jouer. On a même monté un festival, qui peut accueillir des projets de plus grande envergure. Cyril tourne avec son groupe, et personnellement je fais du management d’artiste, ça nous permet de rencontrer du monde au fil des concerts. Donc on est très connectés, avec cette capacité de sortir les projets qui nous parlent.

On travaille avec des artistes depuis longtemps, qui sont devenus des amis. On défend cet esprit de famille : les groupes se rencontrent, des synergies se créent. Tout le monde partage cette mentalité de défricheur de DIY.

Les Disques Bongo Joe, c’est une soif de découvrir et une connexion au monde. Il faut être à l’écoute de ce qui se passe et à l’écoute du monde. C’est aussi pour ça que nous avons un sous label, Les Disques Magnétiques, dédié aux musiques électroniques de Genève et alentours. L’idée c’est de miser sur les talents de chez nous, souvent des premiers albums ou des premiers EPs, sans ambition de s’exporter.

Pourquoi pensez-vous que l'indépendance est une force ?

On vient d’une scène musicale culturelle très engagée politiquement. On vient des squats, de la scène punk, qui infuse tous les jours dans ce qu’on fait : quand on a pas ou peu de moyens et qu’on doit lutter dans un monde où c’est ce qui compte, si on ne reste pas fidèles à ses valeurs, il ne nous reste rien. Et même si maintenant on est plus établis plus “institutionnels”, l’indépendance elle est toujours là, on la revendique, et pas qu’au travers de notre nom.

Le nom du label vient de George « Bongo Joe » Coleman, un musicien texan noir qui faisait du proto-rap / spoken word. Il avait eu des propositions pour jouer dans des groupes, mais n’avait pas de batterie pour les accompagner, donc il s’est construit une batterie avec des barils et s’est mis à jouer dans la rue. Quand le magasin a été fondé, Cyril a voulu rendre hommage à ce musicien et son esprit Do It Yourself, un peu punk et résolument avant-gardiste.

Nous avons contacté sa famille et ils ont halluciné de ce témoignage de respect, ils sont très contents de savoir que son nom reste un symbole d’indépendance pour une génération de musiciens.

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