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20.09.23

IDOL Insights : meet Erased Tapes

Chaque mois, IDOL met en lumière un label de son catalogue. Le label du mois, Erased Tapes, est un pionnier dans son genre. Rencontre avec Robert Raths, qui retrace 16 ans de passion.

Erased Tapes a été fondé à Londres en 2007 par l’Allemand Robert Raths. Animé par une véritable soif de découverte, le label est devenu synonyme de crossover classique et de paysages sonores électroniques. Erased Tapes a commencé avec le producteur britannique Aparatec, qui s’est fait connaître sous le nom de Rival Consoles. Le label s’est ensuite ouvert à des artistes plus éloignés, comme Ólafur Arnalds, Peter Broderick, Nils Frahm ou Hatis Noit, chacun repoussant les limites de son genre, ce qui a permis à Erased Tapes de devenir un label d’avant-garde et expérimental respecté. Robert Raths a pris le temps de répondre à nos questions alors qu’il travaillait dans son studio londonien, il explique comment il a su rester innovant au fil des années, avec des sorties qui captivent et inspirent dans le monde entier.

Comment est né Erased Tapes ?

Le label est né grâce à Internet. Via MySpace, on a pu d’un coup découvrir beaucoup de musique, mais aussi entrer en contact avec d’autres musiciens et créateurs. C’était une période très excitante, car les barrières de l’industrie musicale n’avaient plus de sens, et ça a fait beaucoup de bien !

Au début, je n’avais pas idée qu’Erased Tapes deviendrait un label. J’aidais simplement les gens à monter des projets : je découvrais des musiciens qui produisaient de la musique dans leur chambre. Ils avaient juste besoin d’un ami capable d’envisager que leur musique soit écoutée en dehors de leur cercle, et de les mettre en contact pour avoir une chance de la jouer en public. Mais à l’époque, dans une ville comme Londres, à moins de faire partie d’un groupe indé branché, il était difficile de faire venir quelqu’un à son concert.

Nous avons dû chercher nos propres salles de concert, souvent des chapelles, des petites églises ou d’autres espaces abandonnés depuis le début des années 90. C’était agréable de remplir de musique ces espaces acoustiques naturels.

Vous êtes une figure de proue de la musique d'avant-garde. Était-ce votre intention à vos débuts ?

Mon objectif principal a toujours été de poursuivre l’inconnu. Si j’ai l’impression que quelque chose a déjà été fait, cela ne m’intéresse pas. Comme la plupart des choses ont déjà été réalisées, il me faut trouver des possibilités d’associer deux choses que personne d’autre n’a eu l’idée d’associer. Ce qui est passionnant, c’est qu’on a aucun contrôle sur ce qui peut arriver.

Si Erased Tapes est devenu un label, c’est parce que j’ai cru en quelques morceaux électroniques de Ryan Lee West, qui enregistrait à l’époque sous le nom d’Aparatec. Il m’a envoyé quelques titres sur un CDR que j’écoutais sur mon iPod sillonnant Londres en bus de nuit. Peut-être parce que j’ai grandi en héritant des disques 7″ de mes parents, j’ai eu envie de presser sur vinyle cette musique qui n’existait que sur CDR. Je me rendais ensuite chez les disquaires pour présenter ce nouveau producteur underground.

Nous n’étions pas poussés par une assurance particulière, c’était plutôt une question de tout ou rien. Mais je n’avais aucune idée de comment procéder : qui pouvait presser ces disques ? Comment préparer les masters et concevoir les pochettes ? Où me procurer des pochettes de 7″ pour les envoyer aux gens ?

C’était les débuts du numérique et des téléchargements, et je ne voulais pas passer pour un label vintage. Avec l’aide d’un ami, nous avons donc trouvé un moyen de programmer le site web pour que les gens puissent également télécharger la musique avec un code. Mais s’adresser à un disquaire avec un simple code de téléchargement sur une carte, c’était risquer qu’ils ne s’y intéressent pas. J’ai donc produit un tirage limité de 7″, avec un CDR et, plus tard, un code de téléchargement sur une belle pochette, et les disquaires l’ont écouté.

Vous souvenez-vous d'un moment difficile, et ce qui vous a poussé à continuer ?

On peut parfois se sentir très seul. Partir de zéro dans un pays où vous ne parlez pas la langue, où vous ne maîtrisez pas les codes sociaux… C’est vraiment difficile. Je pense qu’une partie de notre public, surtout dans les premières années, a pu s’identifier à cette solitude, à ce sentiment d’altérité. C’est un peu subconscient, et je crois que les gens l’ont ressenti à travers la musique et les pochettes.

Ólafur Arnalds a été le premier artiste que j’ai signé en dehors du Royaume-Uni, j’étais enthousiaste à l’idée de travailler avec quelqu’un qui venait d’un endroit où je n’avais encore jamais mis les pieds. Il patinait dans la banlieue de Reykjavik à deux heures du matin pendant ses nuits d’insomnies liées au solstice d’été ; et j’ai trouvé cela magnifique. Nous ne nous étions encore jamais rencontrés, nous discutions juste sur Skype, au téléphone ou par email, et il y avait toujours ce côté futuriste bizarre. Mais quelque part, c’est aussi la force motrice de tout ce que nous faisons.

Je suis toujours excité à l’idée de faire quelque chose de nouveau. Et j’y consacre alors 1000% de mon énergie. Dans ma vingtaine, j’étais vraiment sauvage, non pas parce que je faisais la fête – loin de là – mais parce que je n’étais à ma place nulle part. C’est pourquoi il m’a été facile de voyager et de quitter mon pays. Ce n’est que cinq ans plus tard que j’ai enfin eu l’impression de comprendre ce que j’étais censé faire, d’avoir trouvé un but dans la vie : partager de beaux sons avec des oreilles attentives et je pense que cela ne deviendra jamais ennuyeux.

Après 16 ans, quelles conclusions tirez-vous de cette industrie ?

Je me sens bien. Avec le label, j’ai créé un refuge pour les créateurs et une plateforme pour des musiques qui, autrement, n’auraient pas été découvertes. Et c’était la bonne chose à faire, sinon le label n’aurait plus le besoin d’exister. La musique était si passionnante et les gens si gentils et si curieux que j’ai senti que je devais faire tout mon possible pour empêcher que cette musique passe inaperçue. Inconsciemment, c’est la véritable signification du nom Erased Tapes (cassettes effacées).

Mais les attentes étaient très faibles. Ce n’est pas comme si j’avais un plan précis de ce que je voulais réaliser avec ce label. Jamais je n’aurais imaginé que nous allions réaliser… tout ce que nous avons fait depuis le début en somme.

Pourquoi pensez-vous que l'indépendance est une force ?

On ne peut pas être créatif en permanence. Si l’on pousse trop, soi-même ou ses collaborateurs, on perd l’envie, on est stressé et on développe des anxiétés, ce n’est pas sain. C’est pourquoi je n’insiste jamais sur les calendriers de sortie, ce qui marque déjà une grande différence par rapport au fonctionnement des grandes maisons de disques, qui sont soumises à une forte pression pour récupérer leur investissement le plus rapidement possible.

J’ai embauché quelques personnes qui travaillaient auparavant dans de grandes maisons de disques et elles ont été étonnées de voir que chez nous elles pouvaient apprendre et faire des tas de choses différentes. C’est ce qu’il y a de bien dans le fait de travailler pour un label indépendant… Chaque projet est différent, et ça doit rester passionnant et amusant. Lorsque nous suivons une routine, c’est généralement le moment où je vais être sur les dents car je sens que quelque chose ne tourne pas rond.

J’entends souvent des gens déçus lorsqu’un album ne fonctionne pas bien en radio, par exemple. Peut-être que ce n’est tout simplement pas le bon canal pour ce genre de musique. Essayons autre chose, au lieu de blâmer les gens qui essaient désespérément de faire en sorte que ça marche.

C’est un luxe de travailler dans une petite structure. On est plus flexible, on peut réagir plus rapidement. C’est quelque chose que j’ai commencé à apprécier au fil des années. Pour être indépendant, il faut dire non à beaucoup de choses, mais cela vous permet de définir votre propre voie, de créer votre propre espace, de transmettre cette liberté et de donner aux autres les moyens de faire de même.

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