IDOL Insights : meet Glitterbeat
Peu de labels ont réussi à s’imposer dans le paysage musical à la manière de Glitterbeat et de sa filiale Tak:til. Cinq fois couronné Label de l’année au Womex, Glitterbeat a été fondé en 2012 par Chris Eckman, musicien devenu producteur, et Peter Weber, manager du groupe Tamikrest.
Les racines de Glitterbeat se trouvent au Mali, où la richesse de la culture musicale a inspiré Chris Eckman s’est passionné pour la culture musicale. Mais l’expansion au-delà du continent africain s’est imposée très rapidement, avec des groupes comme Avalanche Kaito, Altin Gun, YĪN YĪN et Gaye Su Akyol. L’année 2017 a vu la naissance de Tak:til, une extension de Glitterbeat avec une orientation plus contemporaine et instrumentale, pour soutenir des artistes tels que Brìghde Chaimbeul, Širom ou Pulled by Magnets.
Le cofondateur partage ici son objectif de considérer la musique dans une perspective internationale, l’intégrant autant que possible dans une conversation musicale dépassant les frontières physiques ou symboliques.
Comment est né Glitterbeat ?
Après de nombreuses années en tant que producteur et musicien, j’ai ressenti un certain épuisement musical. J’avais besoin d’entendre quelque chose de différent et je me suis donc rendu au Festival au Désert, qui se déroule à Essakane, à deux heures de Tombouctou, au Mali. Je n’avais rien planifié, je ne connaissais personne là-bas.
J’écoutais de la musique africaine depuis l’université, au début des années 80, mais je n’étais encore jamais allé sur le continent. J’ai voyagé pendant un mois et cette expérience a bouleversé ma vie.
Quelques années plus tard, l’un de mes groupes, Dirtmusic, a été programmé au Festival au Désert. C’est là que nous avons rencontré le groupe touareg Tamikrest, avec lequel nous avons enregistré quelques disques. C’est comme ça que Glitterbeat a vu le jour.
À l’époque, nous vendions ces disques via Glitterhouse, le label d’un de mes amis, Peter Weber, qui est devenu le manager de Tamikrest. Au bout d’un an, nous avons décidé de nous en charger personnellement : si nous voulions continuer à sortir des albums depuis le Mali, nous devions mettre en place notre propre réseau.
Après avoir travaillé avec des artistes africains, Glitterbeat a élargi ses horizons. Pourquoi ?
Au tout début, nous avons choisi pour devise : « Vibrant music from Africa and beyond » (musique palpitante d’Afrique et d’ailleurs). À l’époque, nous n’avions pas une large palette de musique africaine, nous n’avions même que de la musique malienne ! Tout s’est fait petit à petit, très naturellement.
Le premier groupe que nous avons signé en dehors de l’Afrique était Sonido Gallo Negro, un groupe mexicain. Au fil des années, nous n’avons jamais adhéré à cette idée de “musique du monde” : jamais nous n’utilisons cette définition. En fin de compte, presque toute la musique que nous sortons a un lien avec la musique traditionnelle : elle est quelque part tissée dans la musique.
Vous avez été couronné "meilleur label" par WOMEX cinq années de suite, cela a-t-il aidé à votre développement ?
C’est une jolie histoire : notre premier WOMEX était en 2012, alors que nous n’avions pas encore sorti le moindre disque. Nous avons rencontré quelques bookers et d’autres professionnels de la musique et la conclusion a été que ce n’était pas forcément une bonne idée. Fonder un label semblait très difficile et notre projet n’a pas été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme.
La chance que nous avons eue, c’est qu’à cette conférence, nous avons rencontré un représentant d’IDOL. C’est là que Peter et moi avons pris notre toute première décision commerciale en tant que Glitterbeat : nous avons décidé de changer de distributeur numérique et d’opter pour IDOL. C’était notre premier acte indépendant, qui s’est transformé en un partenariat solide et précieux.
Notre première récompense de WOMEX a été significative, car elle nous a donné une légitimité essentielle. Depuis nos débuts, la communauté nous a beaucoup soutenus, mais nous avons également cherché à élargir le champ de nos partenariats. Nous nous intéressons toujours aux médias grand public, à la presse électronique, hip-hop ou rock… en essayant de faire connaître nos groupes à un public aussi large que possible. C’est peut-être bon pour le business, mais pour nous, c’est plus fondamental que cela.
Tout au long de notre parcours, nous avons conservé cette position d’outsiders de par nos choix artistiques : nous voulons sortir une musique très exigeante. Et au final, le vrai défi est d’amener la musique qui n’est pas en anglais, qui n’est pas en 4/4, qui ne correspond pas aux standards mélodiques… dans une conversation musicale plus large.
En 2017, vous lancez un nouveau label, Tak:til. Pourquoi ?
À l’époque, nous écoutions certains types de musique qui, selon nous, ne correspondaient pas à l’identité Glitterbeat, alors nous avons lancé Tak:til. Le label propose avant tout de la musique instrumentale, mais c’est de moins en moins clair, car certains artistes commencent à ajouter des voix. Cependant, ce label mène sa barque, avec de jolis succès, comme le groupe slovène Širom, qui a figuré dans de nombreux tops de fin d’année 2022 dans toute l’Europe et même au-delà.
En fin de compte, les artistes Tak:til s’intègrent bien à Glitterbeat. C’est probablement parce que lorsque nous découvrons une nouvelle musique, nous discutons très peu – notre première réaction doit être émotionnelle. C’est là que tout commence.
Quel a été, pour Glitterbeat, le fait marquant de la dernière décennie ?
C’est un événement qui peut paraître obscur. Nous avons sorti un album de musique traditionnelle, They Will Kill You, If You Cry, Khmer Rouge Survivors, enregistré par Ian Brennan au Cambodge, chez des gens, avec de simples micros. Lorsque cet album a été chroniqué dans le magazine Mojo, j’ai eu l’impression que nous avions atteint notre objectif premier. C’est certainement le seul album de terrain cambodgien à avoir obtenu une chronique dans un magazine rock pop électronique !
Nous savons tous, dans cette industrie, à quel point les choses sont figées et à quel point il est difficile de sortir des catégories imposées. Pour moi, c’est la partie la plus intéressante de notre travail : construire des ponts pour les grands artistes.
Il y a de plus en plus d’artistes ne chantant pas en anglais qui parviennent à toucher un public à l’international. Cela reste une minorité, mais c’est un grand pas en avant, et c’est très excitant !
Pourquoi pensez-vous que l'indépendance est une force ?
Nous n’avons de comptes à rendre à personne d’autre qu’à nos artistes. Cela nous permet de prendre plus de risques. Dans le sens ou nous pouvons sortir de la musique plus exigeante, sur laquelle les majors ne s’aligneront pas.
Dans les années 90, j’ai été signé sur une grande maison de disques, Virgin Records, avec l’un de mes groupes. C’était après Nirvana, et les majors se demandaient comment ce phénomène avait été seulement possible : et si Nirvana avait pu arriver, peut-être que d’autres groupes émergeants en étaient capables aussi… Il y avait une sorte d’échelle : un artiste indépendant grossissait, et finissait par trouver sa place en major.
De ce que je comprends, les majors se concentrent désormais presque exclusivement sur la pop grand public. C’est une bonne chose pour nous, car les majors ne savent pas comment s’y prendre, elles ne savent pas ce que ça demande de travailler nos artistes. De notre côté, nous pouvons nous démarquer assez facilement, car il reste beaucoup d’espace pour la musique indépendante.
Je reste optimiste ! Je travaille dans ce secteur depuis 35 ans et ça a toujours été difficile. Nous devons simplement prendre les choses telles qu’elles sont et croire en ce que nous faisons…
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