IDOL Insights : meet Born Bad Records

En 2006, Jean-Baptiste Guillot – aussi connu sous le nom de JB Wizz – lance son label, Born Bad Records. Marqué par la culture punk et mods, le label se spécialise dans le rock garage, à une époque où l’électro régnait sur le monde de la musique. Rapidement, le label décide de proposer aussi des rééditions d’albums et de compilations de groupes francophones des années 50 et 60. Aujourd’hui, plusieurs groupes sont fiers de faire partie de cette écurie, comme La Femme, Forever Pavot, Bryan’s Magic Tears, et plus récemment, le Star Féminine Band. Retour sur 15 années au service de la musique alternative.

J’ai longuement bossé en major – à l’époque, l’industrie était déjà en crise, donc les seuls postes à pourvoir étaient dans ces grosses structures. Cette expérience en major m’a laissé un peu amer car j’ai réalisé notamment que les desiderata financiers prenaient systématiquement le pas sur l’artistique.

A l’issue d’une des grosses charrettes des années 2000, je suis parti avec une enveloppe assez confortable de licenciement. Une semaine après, j’étais en train de lancer mon label. Je voulais oublier cette mauvaise expérience en major et quelque part trouver la « rédemption » par la création d’un label indépendant conforme à ma vision artistique. Je voulais un label incarné, comme l’étaient les labels qui me faisaient rêver.

Le label donne de l’espoir parce qu’il démontre par l’exemple qu’on peut aller assez loin avec très peu de moyens, juste avec des convictions et de la détermination. Avec le label, j’essaie d’incarner une vision, tout en préservant une certaine fraîcheur et une spontanéité.… ce qui n’est pas évident dans une société aussi cynique. Même après 15 ans, je suis rarement là où on m’attend : les gens sont toujours étonnés des partis pris et des sorties du label sur un spectre musical assez large – avec comme ligne éditoriale mon appétence pour les projets singuliers, très alternatifs.

J’essaye d’aller vers des artistes qui sont entiers, authentiques… Un peu à mon image en définitive ! C’est ce qui donne un roster d’artistes habités, avec leurs fêlures mais aussi leurs fulgurances. C’est des loosers magnifiques – à la frontière entre minable et flamboyant.

C’est des bons live, même si souvent assez inégaux : ils sont capables de donner des concerts complètement dingues et puis se louper le lendemain. Je pense au Villejuif Underground, par exemple, ou Cheveu.

Les gens savent que je suis le seul à le faire, ce qui donne au projet un côté épique. Je n’ai jamais embauché personne, le label se passe entre moi et moi. Je n’ai jamais eu de stagiaires, et Clarisse, notre attachée de presse, n’est pas salariée, elle est en freelance, mais elle a décidé à un moment donné de ne travailler que pour moi.

Je me suis jamais développé, je suis vraiment dans ce truc de la culture DIY. Je produis tous les disques que je sors. Ensuite, il faut pouvoir financer des projets, puis les distribuer, les promouvoir, les faire exister. Et tant pis si je plafonne, je ne suis pas un entrepreneur. Après j’arrive aussi à un âge où je fatigue d’autant que c’est pas facile en ce moment pour un label indépendant.

C’est pourquoi la dimension humaine est essentielle et préalable à toutes mes signatures, c’est-à-dire que je préfère sortir un disque d’un artiste moyen mais avec lequel je suis en phase en termes de valeurs plutôt qu’un artiste sans doute très brillant et talentueux, qui va être appelé à avoir du succès mais que je ne sens pas humainement.

Le public adore les rééditions et les compilations, et ça permet de prendre conscience d’une richesse qu’on sous-estime totalement parce qu’on est conditionnés à penser qu’on fait que de la merde en France. L’idée c’est d’exhumer et de réhabiliter ces artistes.

C’est aussi une façon d’inscrire le le label dans une temporalité, de revendiquer une filiation, par rapport à une idée de la contre culture en France. Personnellement, j’ai grandi traumatisé, parce que je détestais Noir Désir et Louise Attaque, et j’avais l’impression que c’était impossible d’évoluer hors de ces deux piliers. Ces propositions alternatives décomplexent, elles permettent de s’affranchir de plein de barrières.

Il y a évidemment une réalité financière : les rééditions me permettent d’avoir un planning de sorties à l’année. Il y des périodes peu intéressantes pour un artiste émergent : à partir d’avril, c’est trop tard pour être programmé en festivals, et l’album aura du mal à traverser l’été. Sauf que j’ai pas les moyens de ne pas sortir d’album d’avril à juillet, donc les rééditions me permettent de prendre une respiration.

Enfin, c’est triste à dire mais c’est plus facile de vendre des artistes morts car le temps a fait son travail. Pas besoin de créer une dynamique de promo, pour imposer coûte que coûte un projet. Beaucoup de redditions servent en réalité à financer les pertes que j’accumule sur les groupes actuels.

Je n’en espérais déjà pas tant, donc je suis plutôt serein : tout peut s’arrêter du jour au lendemain, puisque le label repose sur ma motivation et ma détermination. Mais c’est pas grave, je me suis réalisé.

Je crois sincèrement être bon dans ce que je fais, d’avoir parcouru un chemin assez phénoménal, avec très peu de moyens et sur des esthétiques musicales qui ont toujours été décriées en France. C’était une double gageure d’installer un tel label dans un pays peu sensible et assez critique envers ce qui se faisait localement.

Cela dit, j’aime les défis : je me sens vivant quand je sors de ma zone de confort. Donc pour les 15 ans à venir, j’aimerais faire des beaux disques, trouver des bonnes idées, travailler avec des gens qui me font me sentir libre.

Born Bad, ça va au-delà de l’indépendance, c’est la liberté. Un label; c’est un métier dur, mais je sais pourquoi je le fais. Ensuite la question est : Jusqu’où es-tu prêt à aller pour être libre ? La réponse passe forcément par l’indépendance.

Je suis venu chez IDOL parce que le parcours de Pascal BIttard me plaît. J’aime l’idée qu’il soit patron de sa propre société, qu’il travaille avec son propre argent, qu’il soit indépendant en somme, ça a été déterminant dans mon choix.

J’étais auparavant chez Believe par commodité, je suis resté des années fidèle à Jean-Christophe Mercier, mais à un moment donné, je ne savais plus à qui appartenait la boîte. Et c’est pour ça que je serai toujours plus tolérant à l’égard d’un mec comme Pascal Bittard parce que lui aussi il est dans sa propre épopée. Il aurait pu aussi choisir la facilité en vendant sa société, en faisant entrer des actionnaires mais il ne l’a pas fait et ça force l’admiration.

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