IDOL Insights : meet Heavenly Sweetness
Heavenly Sweetness, fondé en 2007, s’est fait connaître sur la scène musicale française, notamment grâce à un accord pour la réédition en vinyle du prestigieux catalogue Blue Note. Cette opportunité a joué un rôle clé dans le développement du label à l’international et sa notoriété auprès de tous les amoureux du vinyle.
Tout en rendant hommage aux géants du passé, Heavenly Sweetness a enrichi la scène actuelle avec des artistes comme Anthony Joseph, Guts ou Laurent Bardainne. Grâce à une direction artistique audacieuse et une volonté de perpétuer l’esprit du jazz, le label cultive une esthétique musicale éclectique qui mêle les harmonies bleutées à la soul, à l’électro et aux sonorités tropicales et africaines.
Depuis Heavenly Sweetness a étoffé son catalogue avec des artistes contemporains tels que David Walters, K.O.G, Léon Phal et tout récemment Ludivine Issambourg. En quinze ans, le label a réussi à se forger une réputation solide, appréciée tant par les puristes du jazz que par les amateurs de nouvelles expériences sonores.
Comment est né votre label et quel a été son parcours pour en arriver là aujourd’hui ?
En 2007, en plein milieu de la crise du disque, je quitte EMI dans le cadre d’un plan social, avec une aide à la création d’entreprise. Au même moment, je croise mon associé de l’époque Antoine Rajon qui avait déjà sorti deux maxis sur un label, qui démarrait tout juste, appelé Heavenly Sweetness. Je lui ai proposé de le développer ensemble.
Au cours de mes années en major, je travaillais sur des projets qui ne me correspondaient pas toujours musicalement, mais cela me garantissait un salaire à la fin du mois. J’ai vu dans la création de ce label une manière de sauver mon âme. C’était un compromis pour me racheter bonne conscience.
Comment s'est construite l’identité du label ?
Depuis le début, j’essaie de garder une notion de plaisir et de coup de cœur. En 2007, on a monté un label de jazz, mais au lieu de faire une chapelle au milieu de plein de chapelles de jazz, on a pris la décision de sortir des albums parce qu’on les aime sans se soucier du style. Notamment Blundetto, le projet du programmateur de Radio Nova, sorti en 2010 : c’était pas du jazz mais on adore cet album.
On a aussi voulu se spécialiser dans le vinyle, c’est-à-dire que pour chaque album, si on ne le sortait pas en vinyle, on faisait un 45 tours avec un extrait de l’album et un remix – ce qui nous permettait de travailler avec des artistes électroniques. Pour l’album de Doug Hammond, un batteur culte pour le spiritual jazz, on a choisi un artiste pas encore très connu pour le remix : Four Tet.
Tous nos potes de l’industrie pensaient qu’on allait vendre deux vinyles ! Au final on en a repressé 5 fois 500, donc on en a venus 2500 dont beaucoup au Japon. C’est comme dans tout, quand tu crées un label, si t’y crois pas, personne n’y croit pour toi.
Qu'est-ce qui fait un artiste Heavenly Sweetness ?
C’est des gens qui aiment bien la vie en général et qui aiment bien s’amuser… Un peu à mon image ! Le plus important pour moi, c’est mon luxe, c’est travailler avec des artistes qu’on aime.
Quand j’étais en major, les artistes étaient plus ou moins sympathiques, donc avec Heavenly Sweetness, j’ai eu envie de travailler avec des artistes qui sont contents de bosser avec moi. Je veux travailler dans la joie et la confiance. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucun problème mais ça reste des problèmes qu’on essaie de résoudre ensemble.
Je fonctionne beaucoup au coup de cœur et il y a 2 ans j’ai signé un artiste Kham Meslien, un projet de contrebasse solo. Je l’ai écouté par politesse et en fait ça m’a énormément plu ! C’était pas un projet facile, mais j’ai pris le risque, car en plus cet artiste a une super personnalité. Et on a tous été pris de court mais ça a bien fonctionné. C’est pas un accident parce qu’on a bossé mais ça fait partie des vraies bonnes surprises.
Ce que j’aime dans ce métier, même si c’est pas facile à vivre, c’est que tu ne sais jamais comment ça va se passer.
Quels sont les défis principaux que vous rencontrez en tant que label indépendant ?
En major, j’étais chef de projet marketing, au cœur de projets qui ont vendu des centaines de milliers de disques. Sauf qu’en lançant un label, il a fallu que j’apprenne beaucoup de métiers comme la fabrication, le commercial, la finance… Ça m’a appris l’humilité.
Le principal défi est financier parce qu’aux débuts, les ressources ne sont pas illimitées. Il y a un espèce de vertige à mettre 15 000 € dans un disque… Soit tout l’argent de mon plan social ! Ça nous motive à trouver des idées pour que ça fonctionne.
Au départ, il y avait moins de pression car la plupart des artistes avaient un job à côté, ils ne comptaient pas sur la musique pour vivre : Anthony Joseph était professeur à l’université, The Rongetz Foundation était dans la finance, d’autres avaient une carrière de musicien professionnel.
Maintenant, Heavenly Sweetness a grandi, il y a forcément plus d’enjeux financiers, et les artistes comptent sur nous et leur tourneur pour vivre. Mais on essaie de garder cette notion de plaisir avant tout.
Quels sont vos principaux atouts (en tant que label indépendant) ?
Il faut être passionné et réaliste tout en étant un peu fou. En tant que producteur, je prends des risques artistiques et financiers, mais en calculant au mieux ce risque pour ne pas mettre en péril toute l’entreprise.
Il faut aussi beaucoup d’énergie ! Si c’était à refaire, je pense que j’en serai incapable. Il faut s’accrocher à la conviction – qui frise la folie – que ça peut marcher. En 2007-2010, on a vraiment vécu les pires heures de l’industrie du disque : chaque année, le marché du disque perdait 10-15 % et les labels ne trouvaient aucun investisseur…. Grâce au streaming, grâce à IDOL, le ciel s’est dégagé.
Quel est le secret de la longévité de Heavenly Sweetness dans une industrie musicale en constante évolution ?
Heavenly Sweetness c’est comme une épicerie fine, il n’y a que des produits différents, de qualité et surtout on défend ce qu’on aime. Au bout de quinze ans, on a créé un catalogue avec un véritable ADN, lié au jazz, au groove et aux musiques du monde, avec des albums intemporels, qui ne sont pas marqués par une époque. C’est ce catalogue qui fait que les gens nous font confiance. Et vont écouter l’album de K.O.G., même si ce n’est pas forcément la musique qu’ils écoutent. Tout réside dans la force des choix artistiques, ça participe aussi à notre longévité.
L’industrie évolue aussi, les usages ont beaucoup changé. Notre cible aussi a bougé : maintenant il y a un peu tous les âges et il faut savoir comment s’adresser à chacun. Le jazz c’est à la base une musique plus adultes mais quand je fais des concerts de Léon Phal, il y a des jeunes de 20 ans dans la salle, qui dansent en plus ! D’ailleurs, IDOL m’aide beaucoup à suivre ces tendances, à les comprendre et à faire évoluer notre manière de travailler. Il faut ne pas avoir de certitude et savoir réviser tes méthodes de travail régulièrement.
Vous avez créé Pura Vida, une division de Heavenly Sweetness, pourquoi ?
Le producteur Guts m’envoyait tout le temps plein de projets d’artistes. Comme je n’avais pas le temps de tout écouter, je lui ai proposé de créer un label au sein d’Heavenly Sweetness. Il s’occupe de l’artistique, d’enregistrer les albums, d’accompagner les artistes. Et nous on s’occupe de les commercialiser, de faire en sorte que les projets fonctionnent. Via Pura Vida, on travaille avec Pat Kalla, K.O.G, en plus des compilations de Guts.
Guts fait partie des artistes du label qui ont permis au label de se maintenir, et de continuer à bosser uniquement les projets qui nous plaisent sans objectif financier. Ce label est une belle opportunité de lui permettre de travailler avec les artistes et les projets qui lui plaisent.
Pura Vida, c’est son expression, elle s’emploie pour se dire au revoir au Costa Rica, et je trouve que c’est une bonne philosophie de vie.
Après 15 ans, quelles conclusions tirez-vous de cette industrie ?
La première fois que je suis arrivé dans le disque c’est en 1998, et en 25 ans, tout a changé. La consommation de musique surtout a changé mais les fondamentaux restent les mêmes, ça reste des artistes qui font de la musique qui partagent des émotions avec un public plus ou moins large. On écoute encore des nouveaux albums, des singles, on va voir des concerts et on est fans d’artistes.
Ce qui a vraiment changé c’est qu’en tant que passionné de musique, je n’ai jamais eu accès à tant de musique aussi facilement. Avant, lors d’une soirée, il fallait demander le titre au DJ sinon c’était impossible de savoir ! Et après il fallait encore trouver le disque, ce qui pouvait prendre parfois des années. Je trouve que l’époque n’a jamais été aussi excitante !
Pourquoi pensez-vous que l'indépendance est une force ?
C’est le prix de la liberté. Un label indépendant est libre et de ses choix, quels qu’ils soient. Parfois c’est matériellement difficile mais c’est personnellement beaucoup plus épanouissant. La plus grosse récompense c’est la fidélité des artistes au sein du label.
On a eu la chance d’avoir des succès qui nous ont permis de continuer, et lors des moments un peu difficiles, il y a toujours eu un album qui a marché ou une synchro qui a permis de rebondir. C’est une histoire de passionnés mais ça reste tout de même fragile.
J’aime beaucoup travailler avec IDOL parce qu’il y a un état d’esprit, un petit supplément d’âme. Bien sûr, il y a toujours des contraintes parfois économiques, parfois de développement ou d’accès à certains médias. C’est pour ça que c’est important de pouvoir s’appuyer sur des gens qui te comprennent et qui sont là pour t’aider. Donc oui c’est une vraie force collective.
Si on est encore là c’est grâce à IDOL, grâce à toute l’équipe. Depuis le début de la collaboration à chaque fois c’est hyper motivant de voir l’enthousiasme des équipes. C’est ça qui te donne énormément d’énergie, tu te sens moins seul. Les artistes aussi se sentent soutenus et donc nous font confiance. C’est une espèce de cercle vertueux.
J’espère que ça durera encore longtemps.
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