Featured
13.01.25

IDOL Insights : meet Spearhead

Chaque mois, IDOL met en lumière un label de son catalogue. Ce mois-ci, c'est au tour de Steve Jefroy, connu sous le nom de BCee, qui a fondé le célèbre label de drum & bass Spearhead Records.

Spearhead Records, fondé par l’artiste BCee en 2005, est devenu un label de référence pour la drum and bass. Au quotidien, son fondateur Steve Jefroy défend des production où la mélodie règne en maître, au travers de talents émergents ou plus établis, dont Netsky, S.P.Y, Technimatic, Riya, Alix Perez, Lenzman et The Vanguard Project (le projet collaboratif de BCee et Villem).

Reconnu pour ses voix captivantes et ses rythmes entraînants, Spearhead produit une musique qui trouve écho auprès des fans du monde entier depuis déjà 20 ans. Grâce à son engagement en faveur de la créativité et de la qualité, le label s’est fermement établi comme une pierre angulaire de la scène drum and bass.

Comment est né Spearheads?

En 2001, j’ai créé avec un ami un label appelé Rubik Records. Nous avons par la suite réalisé que nos visions étaient différentes : mon ami souhaitait garder le label comme un hobby, alors que je voulais construire quelque chose, avoir un réel impact sur la scène drum and bass.

J’ai donc décidé de créer mon propre label : Spearhead Records. Avec le recul, c’est incroyable de voir ce qu’on a réalisé : des millions de streams, des diffusions sur Radio 1, et bien plus encore. Comme ça s’est fait progressivement, je ne me suis pas rendu compte de l’ampleur que cela a pris.

Ce dont je suis le plus fier, c’est la qualité de la musique sur la durée : je voulais sortir des morceaux qui sonnent encore frais et intéressants dix ans plus tard. Aujourd’hui, quand j’entends des gens jouer des morceaux du catalogue qui ont parfois 15 ans, je sais que ça signifie que la musique a résisté à l’épreuve du temps.

Quel effet cela fait-il de célébrer le 20e anniversaire du label ?

C’est une étape importante, et je voulais vraiment marquer le coup. L’objectif est de sortir 24 singles, à raison d’un tous les quinze jours. Pour cela, j’ai fait appel à des artistes avec lesquels nous avons travaillé, ainsi qu’à de nouveaux talents dont j’adore la musique. Par exemple, London Elektricity – que j’admire depuis des années et que je considère aujourd’hui comme un ami – a accepté de contribuer à un titre, ce qui me touche particulièrement.

En plus des singles, j’ai envie de revisiter le catalogue. Au lieu de me concentrer sur l’évident « best of », je veux retrouver quelques pépites : des titres passés inaperçus la première fois, mais qui sonnent toujours aussi bien aujourd’hui. Ces titres seront remastérisés, pour une sortie en fin de l’année.

Comment s’est développée l'identité du label ?

L’une des caractéristiques de Spearhead Records est de mettre l’accent sur la musique qui sort vraiment du lot – des morceaux qui ont quelque chose de spécial, comme une touche de piano ou un refrain qui reste gravé dans la mémoire.

Je n’ai jamais signé quelqu’un en exclusivité, et c’est intentionnel, car pour moi, il ne s’agit pas d’enfermer les artistes. Ce que j’ai toujours recherché chez un artiste, c’est la passion avant tout. Certains de nos premiers albums ont été produits par des artistes comme Netsky, Hybrid Minds, S.P.Y et Lenzman, qui sont devenus de grands noms. Ce n’est pas seulement leur musique qui m’a conquis, c’était leur motivation et le sentiment qu’ils seraient toujours là des années plus tard, qu’ils travaillent avec moi ou non.

Au fil des années, de nombreux artistes avec lesquels j’ai travaillé sont allés vers des labels plus importants, comme Hospital Records. Personnellement, cela ne me dérange pas, car je sais que je ne peux pas offrir la même infrastructure, et je n’ai jamais voulu être une grosse machine. Spearhead est une entreprise familiale, c’est pour ça que je choisis de travailler avec des gens que j’apprécie vraiment, avec qui je peux construire une vraie relation. Même si un projet n’a pas de bons résultats commerciaux, si je crois en la personne et en la musique, je perdrai peut-être de l’argent, mais je conserverai une amitié, un lien fort et la satisfaction de savoir que nous avons créé quelque chose de significatif.

Ce qui rend tout cela unique, c’est que nous avons toujours essayé d’apporter des paroles, des mélodies et de l’émotion dans le contexte de la drum and bass.

De quelle manière le label a-t-il influencé la communauté drum & bass?

Pour moi, c’est bizarre quand les gens me disent que j’ai eu une influence, parce que la plupart du temps, je suis juste assis dans une pièce, seul, en train d’écrire de la musique et d’expérimenter avec des samples. C’est arrivé si progressivement, sur une si longue période, que ça me fait bizarre de parler d’influence. Mais je comprends : la musique que l’on écoute en grandissant nous façonne.

Cela dit, je n’ai pas l’impression d’être important. En ce qui me concerne, j’ai toujours aimé faire de la musique. Je suis toujours incroyablement reconnaissant de pouvoir le faire. J’y pense beaucoup ces derniers temps, surtout à 48 ans. Je viens de sortir un album qui a plus été écouté que tout ce que j’ai pu faire dans ma carrière. C’est agréable de voir que les gens s’intéressent toujours à ce que je fais.

En même temps, je suis toujours soucieux de rester original. Je ne veux pas suivre les tendances ou sonner comme tout le monde. Par exemple, j’ai récemment sorti un album de drum and bass entièrement vocal, mais je m’en éloigne maintenant intentionnellement parce que j’ai l’impression que tout le monde fait la même chose.

La plupart des démos que je reçois pour le label se ressemblent. Je veux repousser les limites du cadre drum & bass – toujours 174 BPM – mais trouver des moyens de me démarquer. Vous n’arriverez à rien en copiant tout le monde.

Vous souvenez-vous d'un moment où vous avez voulu abandonner et ce qui vous a poussé à continuer ?

Lancer un label peut s’avérer épanouissant, mais c’est aussi incroyablement difficile. Il y a tellement d’obstacles, surtout quand on est indépendant et que l’on reste fidèle à la musique que l’on aime. Parfois, vous essayez simplement de trouver des moyens de résister et de continuer à avancer.

Ce que j’ai compris en discutant avec d’autres labels indépendants, c’est que tout le monde est confronté aux mêmes difficultés. Au fil des années, il m’est arrivé à maintes reprises de songer à trouver un autre emploi. Et, honnêtement, ce moment viendra probablement, mais pas encore.

J’ai connu une période particulièrement difficile lorsque je travaillais avec New Urban Music, mon distributeur de l’époque. Les choses commençaient clairement à se gâter et je me souviens avoir demandé à mon label manager de me prévenir si la société faisait faillite. Un après-midi, alors que j’étais au parc avec ma famille, j’ai reçu ce fameux appel. Le lendemain, j’ai loué une camionnette, je suis allé chercher des milliers de vinyles qui m’appartenaient. La camionnette était tellement pleine qu’elle touchait presque terre.

À l’époque, ils me devaient environ £15 000 et je n’avais aucune idée de comment m’en sortir. Heureusement, un autre distributeur, Veto, est intervenu, mais cette expérience a été terrible.

Parfois, on se demande pourquoi on continue. Mais il y a aussi des moments qui vous rappellent pourquoi vous avez commencé. Au début de l’année dernière, j’ai donné un DJ set à Kiev : c’était surréaliste. J’ai rencontré des gens qui avaient été blessés pendant la guerre et ne pouvaient plus se battre, et ils m’ont dit que ma musique leur apportait un peu de lumière dans cette période sombre. Je n’aurais jamais pensé qu’en faisant de la drum&bass dans ma cuisine, mes morceaux seraient un jour joués dans une zone de guerre, devant des gens qui reprennent les refrains.

Il y a aussi l’impact personnel que ma musique a eu sur les gens. Je n’oublierai jamais un couple que j’ai rencontré qui m’a raconté qu’ils étaient sur le point de divorcer, quand mon titre ‘Keep the Faith’ est passé… Ils ont alors décidé de redonner une chance à leur mariage. Dix ans plus tard, ils sont toujours ensemble.
Alors, oui, ça a été une aventure folle. Cela n’a pas toujours été facile, mais ces moments, ce type de connexion, en valent la peine.

Pourquoi pensez-vous que l'indépendance est une force ?

Je travaille à mon compte depuis l’âge de 19 ans environ et, pour être honnête, j’ai eu du mal à travailler pour d’autres personnes. Il y a quelques années, on m’a diagnostiqué un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, ce qui m’a aidé et notamment à comprendre pourquoi je suis si créatif et pourquoi j’ai besoin de pouvoir structurer mes journées librement. Cette indépendance a toujours été très importante pour moi.

Récemment, par curiosité, j’ai consulté des offres d’emploi dans l’industrie musicale. La plupart concernent des analystes de données, des programmeurs ou des fonctions complètement détachées de la créativité. C’est un bon indicateur : de plus en plus d’artistes sont signés non pas pour leur musique, mais pour les métriques sur les médias sociaux ou des moments de viralité. Mais personne ne se soucie vraiment de leur musique – tout est une question de chiffres et de tendances.

Pour moi, rester indépendant est un moyen d’éviter ce piège. La créativité est tellement importante, non seulement pour faire de la bonne musique, mais aussi pour la santé mentale. Si vous êtes étouffé dans votre créativité, votre bien-être va en pâtir. Il y a quelque temps, je travaillais à temps partiel pour quelqu’un d’autre et j’ai littéralement fait une crise d’urticaire. Au début, je n’ai pas compris pourquoi, mais un conseiller m’a indiqué des recherches qui prouvent que la suppression de la créativité pouvait se manifester sous forme physique. Cela m’a sidéré, mais c’était logique parce que j’étais en train de le vivre.

C’est pourquoi je pense que l’indépendance est si importante. Elle donne aux artistes – et à moi-même – l’espace nécessaire pour exprimer leur créativité. Lorsque vous travaillez pour une grande maison de disques, la musique peut devenir une corvée. L’indépendance doit être synonyme de liberté de création et d’expression, et c’est ce à quoi j’ai toujours essayé de m’accrocher.

Suivez Spearhead Records
Site Officiel / Instagram / Facebook / Youtube

Rencontrez nos labels

Lire plus d'articles