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Job of the month #20 : Entrepreneur music & tech
Chaque mois, IDOL présente un métier de l’industrie de la musique. Ou plus qu’un métier, une personne ! Car derrière un même intitulé de poste, on retrouve des différences significatives d’une structure à une autre. Chacun peut définir, selon son parcours professionnel, ses qualités et compétences le périmètre de son poste! Rencontre avec Clément Souchier, fondateur de Bridge.audio, qui nous explique comment l’IA a révolutionné le métier de la synchro.
Tout d'abord, peux-tu expliquer ce qu’est Bridge.audio ?
Bridge.audio est une solution dédiée à l’industrie musicale qui a pour ambition de simplifier les workflows et d’amplifier la découvrabilité des catalogues. Concrètement, le produit se décline en deux volets principaux : d’un côté, des workspaces qui permettent d’organiser, partager et recevoir de la musique (adieu les liens wetransfer expirés et autres liens privés Soundcloud…); de l’autre, une marketplace appelée Bridge Sync, un DSP synchro.
Bridge Sync permet aux ayants droit de rendre tout ou partie de leur catalogue accessible aux industries de l’entertainment : publicité, jeux vidéo, films, séries TV ou encore music supervisors. L’une de ses spécificités est que les ayants droit conservent 100 % des revenus de synchronisation, Bridge se positionnant uniquement comme une infrastructure technique au service de tous.
Ce qui rend tout cela possible, c’est notre IA descriptive et éthique. Dès qu’un morceau est uploadé sur Bridge.audio, notre IA l’analyse et le décrit avec une précision inédite. Cela ouvre des possibilités immenses. Par exemple, si vous gérez un grand catalogue, l’IA vous permet de naviguer facilement et de trouver les titres les plus pertinents.
Pour les A&R et superviseurs musicaux, elle simplifie l’exploration des titres reçus. Un A&R peut, par exemple, chercher à identifier une artiste féminine de cloud rap chantant en français.
Enfin, au sein de Bridge Sync, cette IA permet aux professionnels de l’entertainment de faire des recherches ultra-précises dans les catalogues des ayants droit. Ils peuvent, par exemple, chercher un morceau d’Americana chanté par une femme à la voix douce et éthérée, abordant des thèmes comme la famille.
Peux-tu nous raconter ton parcours professionnel ?
Cela fait presque 25 ans que je travaille dans l’industrie musicale, principalement dans la supervision musicale et la synchronisation. J’ai fondé Creaminal en 2004, une société spécialisée dans la supervision musicale, que j’ai dirigée pendant de nombreuses années. Nous avons supervisé des centaines de projets (films, séries, publicité, jeux vidéo…). Et pour y parvenir, nous avons créé un outil qui nous permettait de décrire avec une precision folle.
J’ai choisi de vendre Creaminal au virage des années 2020 et lancer Bridge.audio car je voyais dans les progrès de l’IA descriptive une opportunité unique d’élargir le champ des possibles. Tant que la description musicale est manuelle, on se heurte rapidement à un goulot d’étranglement : notre capacité à écouter et explorer les catalogues est limitée par le temps. Grâce à l’IA descriptive que nous avons développée, et qui s’appuie sur le vaste dataset construit au fil des années chez Creaminal, nous pouvons désormais accueillir beaucoup plus d’ayants droit et d’acheteurs.
Dans un contexte où les opportunités de synchronisation explosent avec la multiplication des supports (campagnes digitales, petits formats, nouveaux médias), il était crucial de permettre à l’industrie musicale de capter ces revenus supplémentaires. Outre la fluidification des échanges, Bridge est une réponse à cette évolution du marché. Et la solution vient en complément et non en remplacement des métiers existants.
Pourquoi as-tu choisi de monter ton entreprise ?
J’ai toujours été entrepreneur. Bridge.audio est la quatrième société que je crée dans l’industrie musicale. J’ai commencé à entreprendre à l’âge de 21 ans et, pour ainsi dire, je ne sais pas faire autre chose qu’être à mon compte.
Bridge.audio s’inscrit dans la continuité des missions que je me suis toujours données : fluidifier les échanges entre les acteurs de l’entertainment et de l’industrie musicale, tout en explorant les possibilités offertes par la technologie. Dès le début des années 2000, j’avais créé Soundicate, une radio et un magazine en ligne qui s’adaptaient aux goûts musicaux de nos utilisateurs. Cette société n’existe plus aujourd’hui, car nous étions arrivés trop tôt sur le marché – six ans avant l’arrivée de Deezer ou Spotify.
Bridge.audio représente pour moi l’aboutissement de ces expériences, avec une vision adaptée aux enjeux actuels du marché.
Quelles sont les qualités requises pour ton poste ?
En tant que CEO (aka PDG comme on dit chez nous), l’objectif est d’incarner la vision, l’énergie et de faire les bons recrutement au sein de l’équipe.
Ayant beaucoup travaillé dans le cinéma, je trouve que le poste de CEO ressemble assez fortement à celui d’un réalisateur sur un film, en ce sens qu’il faut savoir coordonner l’ensemble des métiers qui nous entourent, savoir écouter, et à la fin être capable de trancher et ce dans l’intérêt du projet ou du film suivant les cas.
Je pense souvent à Mickaël Dudok de Wit, le réalisateur de La Tortue Rouge dont j’ai eu le plaisir de produire la musique (signée de mon cher ami Laurent Perez Del Mar). J’ai été impressionné par sa capacité d’écoute profonde envers ses collaborateurs et la finesse avec laquelle il savait trancher, toujours dans l’intérêt du film. Cette approche, qui mêle bienveillance et prise de décision éclairée, me semble totalement applicable à l’entrepreneuriat.
Avec mon cofondateur Louis Tarrisse, nous cherchons à mettre en place une organisation où se mêlent pratiques agiles, vision stratégique, qualité des recrutements et souplesse dans l’encadrement.
C’est parfois plus facile à dire qu’à faire, à plus forte raison qu’il y a beaucoup de défis (et donc de pression) quand on développe un projet aussi ambitieux (créer un standard pour l’industrie)… mais on s’y attelle sans relâche.
Qu'est-ce que tu aimes dans ton travail ?
Ce que j’aime le plus, c’est la variété des sujets que je traite. Cela dit, cette diversité peut aussi être un peu oppressante. Jongler entre autant de thématiques dans une seule journée, voire dans une seule heure, est à la fois stimulant et parfois épuisant.
Ce qui me motive particulièrement, ce sont les sujets à forte valeur ajoutée, comme les réflexions autour de notre IA. Ces discussions sont enrichissantes, car elles impliquent souvent des experts beaucoup plus « sachant/savant » que moi. C’est aussi là qu’un bon recrutement fait toute la différence. Actuellement, les réflexions sur les prochaines étapes de développement de notre IA sont ce qui me passionne le plus.
L’UX/UI design est aussi un sujet qui me plait énormément car c’est à la fois très créatif (inventer des usages) et très pragmatique (ne surtout pas perdre nos utilisateurs). Mais bien sûr, il faut être capable de jongler avec tous les aspects de l’entreprise.
Quel est ton lien avec IDOL ?
Sur le plan professionnel, notre lien avec IDOL repose sur le fait que plusieurs de nos clients y sont affiliés, ou passent par Labelcamp. Nous travaillons régulièrement avec eux pour la livraison de catalogues via des exports Ddex.
Sur le plan personnel, je suis proche de Pascal Bittard, que j’apprécie beaucoup, tant amicalement que professionnellement. J’ai également eu des échanges avec plusieurs collaborateurs d’IDOL (avant même de connaître Pascal), que je trouve, à l’image de leur CEO, toujours super compétents et agréables… et je dis vraiment pas ça pour juste faire plaisir.
Comment se déroule une journée type pour toi ?
C’est difficile de définir une journée type, mais il y a quelques habitudes qui reviennent. Je m’appuie beaucoup sur des gestionnaires de tâches – en ce moment, j’utilise Asana – pour organiser mes priorités. Mes journées alternent entre des périodes où je travaille sur des tâches de fond et des rituels bien établis, comme les réunions sur le go-to-market, les produits ou encore l’IA.
Le fil conducteur reste toujours l’équilibre entre anticipation et adaptabilité face à la diversité des sujets.
J’apprends encore régulièrement à améliorer mes pratiques grâce à mon entourage. Louis, mon associé, Laure qui gère l’IA chez nous, Alexis Monier (ex-DG de Wagram) qui m’aide beaucoup, Franz, notre CMO…
Quelle est la tâche la plus étrange que tu as pu faire dans ta carrière ?
Il y a deux réponses possibles à cette question. Du côté glamour, je me souviens d’un petit-déjeuner que j’ai organisé avec Jacques Audiard, Damon Albarn et ma collègue de l’époque, Stephanie Sfeir, autour du projet Emilia Pérez (film supervisé au final par mon cher camarade Pierre-Marie Dru).
Lors de ce petit-déjeuner, le courant est tout de suite passé entre Jacques et Damon. Tout semblait aligné pour que cette collaboration autour de la BO, aussi complexe que fascinante, prenne vie. Damon apparaissait comme l’artiste parfait pour relever ce défi ambitieux.
Ce que je ne savais pas encore, c’est que la veille, Jacques avait reçu, après les avoir rencontrés en direct, les maquettes de Clément Ducol et Camille. Ces maquettes, super réussies, allaient finalement devenir la base de la musique du film. Ce revirement de situation a tout changé : il n’y avait plus de place pour envisager une nouvelle piste. Jacques, fidèle à son intégrité, ne voulait pas lancer Damon dans une collaboration qu’il savait ne pas pouvoir aboutir.
C’est là que réside, comme évoqué plus haut le rôle d’un réalisateur – ou d’un CEO : prendre des décisions, parfois déchirantes, mais nécessaires. Alors, malgré la qualité de leur échange et les perspectives qu’il ouvrait, Jacques m’a demandé de contacter Damon quelques jours plus tard pour lui expliquer la situation. Une tâche loin d’être facile, mais indispensable pour respecter le travail de chacun.
À l’extrême opposé du glamour absolu, être CEO, c’est aussi prendre en charge des tâches qu’on ne confierait jamais à ses collaborateurs, par simple respect pour eux. Dans nos anciens bureaux, et c’est l’exemple que je partage ici, nous avions des WC qui dépendaient de pompes de relevage… parfois capricieuses. À plusieurs reprises, je me suis retrouvé aux côtés des ouvriers pour les aider à solutionner des situations pour le moins complexes. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais je vous laisse imaginer le tableau.
En résumé, être CEO, c’est osciller entre le très glamour et le très, très, très concret.
La playlist de Clément
Pour aller plus loin
- Job of the Month #1 : Responsable Grands Comptes
- Job of the Month #2 : Développeur Front-end
- Job of the Month #3 : Head of Digital Content Operations
- Job of the Month #4 Label Manager
- Job of the Month #5 : Responsable Royalties
- Job of the Month #6 : Head of Audience Development
- Job of the Month #7 : Attachée de presse
- Job of the Month #8 : Head of A&R / Business Development
- Job of the Month #9 : Performance Marketing manager
- Job of the Month #10: Juriste
- Job of the Month #11: déléguée générale
- Job of the Month #12 : Global Music Editor
- Job of the Month #13 : Director of Member Operations
- Job of the Month #14 : Développeur back-end
- Job of the Month #15 : Présidente et dirigeante
- Job of the month #16 : Responsable des partenariats
- Job of the month #17 : Head Of Sacem Lab / Innovation
- Job of the month #18 : Distributeur physique
- Job of the month #19 : Label Partner Manager